Cultiver les données : comment les agriculteurs éthiopiens récoltent les données pour favoriser leurs semis #60IAH2016

Quel temps va-t-il faire ? Beaucoup de gens se posent la question, mais pour beaucoup d’Éthiopiens la réponse peut faire la différence entre affluence et pauvreté. L’Èthiopie est un pays riche et divers de près de 100 millions d’habitants, 88 langues différentes et une histoire ancienne et remarquable. Ses hauts plateaux sont humides et fertiles lors de la saison des pluies, alors que ses plaines désertiques comptent parmi les endroits les plus arides de la Terre.

Dangila woreda (district) est une zone montagneuse dans le nord ouest du pays avec une population de 160 000 personnes environ répartie sur 900 km2. Bien que la zone recoive 1 600mm de précipitations annuelles, plus de 90% des pluies ont lieu entre mai et octobre. Les agriculteurs, qui dépendent de leurs troupeaux et de leurs cultures pluviales, doivent absolument comprendre et prévoir les variations de précipitations pour assurer leur ubsistance. Les statégies traditionnelles, utilisées depuis des millénaires, sont menacées par les effets conjugués des changements climatiques, de la dégradation des sols et de la croissance démographique.

Le manque de données sur les précipitations, le débit des eaux de surface et le niveau des eaux souterraines empêche de savoir exactement ce qui passe actuellement et ce qui pourrait arriver ensuite. Dans la majeure partie de l’Afrique sub-saharienne, les gouvernements n’ont pas assez investi dans le suivi-évaluation des conditions environnementales, qui décline et rend de plus en plus difficile la gestion des ressources en eau.

Et si c’étaient ceux qui ont le plus à gagner d’une compréhension et d’une gestion améliorée des ressources en eau qui pilotaient la collecte des données ? Les communautés sont-elles capables de collecter des données fiables sur la météo, les riviéres et les eaux souterraines ? C’est ce qu’explore une équipe de chercheurs de l’Université de Newcastle au Royaume Uni avec le projet AMGRAF[i] financé par UPGro[1].

Dans une nouvelle publication dans le Journal of Hydrology, David Walker et ses collègues expliquent pourquoi ils pensent que la science citoyenne a un avenir dans les zones rurales d’Èthiopie et au delà :

« Les bénéfices de la participation des communautés aux démarches scientifiques sont progressivement reconnus dans plusieurs disciplines, notamment parce que cela permet au grand public de mieux comprendre la science et de mieux s’approprier les résultats, avec une certaine fierté même. Et cela sert à la fois les individus et les processus de planification locaux. » précise Walker. « Parce qu’il y a si peu de stations de suivi-évaluation officielles, et que les zones à étudier et à gérer sont si vastes, il nous faut penser à d’autres méthodes de collecte des données. »

Le programme de suivi-évaluatio communautaire a démarré en février 2014 et les habitants d’une zone appellée Dangesheta ont été impliqués dans l’implantation de nouvelles jauges pluviométriques et de rivières et dans l’identification des puits adéquats pour le suivi. Cinq puits sont jaugés manuellement tous les deux jours, avec une mesure de la profondeur et du niveau d’eau ; une jauge pluviométrique a été installée dans la métairie d’un résident qui effectuait les relevés quotidiennement à 9h ; deux jauges ont été installées sur les rivières Kilti et Brante et étaient relevés tous les jours à 6h et 18h. Chaque mois, les bénévoles remettaient le registre de leurs relevés au bureau du Dangila woreda district, qui les saisissait dans un fichier excel et les envoyait ensuite à l’équipe de recherche.

Mais ces données sont-elles fiables ? Pour David et ses collègues, c’était une question déterminante pour le succès ou l’échec du projet. La validation des données est toujours un défi, qui souffre généralement de deux types d’erreurs :

Les erreurs d’échantillonage proviennent de la variabilité des pluies, du débit des eaux de surface et du niveau des eaux souterraines dans le temps et dans l’espace. Ce type d’erreur augmente avec les précipitations et diminue avec une plus grande densité de jauges. Le défi dans les zones tropicales comme l’Éthiopie c’est que la plupart de la pluie tombe sous la forme d’orages diluviens, qui peuvent être assez courts et petits et donc faciles à rater, ou bien seulement partiellement relevés, si la densité des stations météo est faible.

Le deuxième type d’erreurs sont les erreurs d’observation, qui peuvent avoir plusieurs causes : des vents forts renversant la jauge, l’évaporation vidant la jauge, et bien sûr l’observateur qui peut ne pas  lire la jauge  correctement ou bien mal transcrire ses observations.

« C’est compliqué de relever les erreurs mais c’est possible, surtout en faisant des comparaisons statistiques avec les résultats de stations météo et d’autres sources bien établies» confie Walker. « Nous constatons que les données collectées par les communautés sont plus fiables que celles collectées par télédétection satellite. »

Nous espérons que cette approche prometteuse sera davantage soutenue et sera utilisée plus largement, mais quels sont les secrets et les défis d’une participation communautaire réussie ?

 

« Les gens sont au cœur du processus, donc la sélection des bénévoles est une étape fondamentale pour éviter la falsification des données ou le vandalisme » conclut Walker. « Les retours sur les résultats sont aussi absolument cruciaux: les données peuvent être présentées et analysées avec la communauté lors d’ateliers ou de réunions collectives, leur permettant ainsi de prendre des décisions sur la meilleure utilisation des précipitations, des eaux de surface et des eaux souterraines pour garantir l’approvisionnement en eau de leurs fermes et de leurs familles. »

Ces travaux de recherche se poursuivent grâce à une bourse[2] de REACH : Améliorer la sécurité hydrique pour les populations pauvres, un programme piloté par l’Université d’Oxford.

[1]               « UPGro – Libérer le potentiel des eaux souterraines pour les populations pauvres » est un programme de recherche international de 7 ans (2013-2019) qui est co-financé par le Département pour le développement international (DFID) du Royaume Uni, le Conseil de Recherche pour l’environnement naturel (NERC) et le Conseil de Recherche Economique et Sociale (ESRC). Il vise à renforcer et améliorer les données factuelles sur la disponibilité et la gestion des eaux souterraines en Afrique Sub-Saharienne (ASS), afin de permettre aux pays en développement de la région et à leurs partenaires d’utiliser ces eaux souterraines de façon durable au bénéfice des populations pauvres. Les projets UPGro sont interdisciplinaires, liant sciences sociales et sciences naturelles pour relever ce défi.

[2]               http://reachwater.org.uk/grants-catalyse-12-new-water-security-projects/

[i]               AMGRAF: Adaptive Management of GRoundwater for small scale-irrigation and poverty alleviation in sub-Saharan AFrica: https://upgro.org/catalyst-projects/amgraf/ and http://research.ncl.ac.uk/amgraf/